Archives pour la catégorie POESIE

A MA FILLE ADELE – Victor Hugo

Titre : À ma fille Adèle

Poète : Victor Hugo (1802-1885)

Recueil : Les quatre vents de l’esprit (1881)

Tout enfant, tu dormais près de moi, rose et fraîche, :

Comme un petit Jésus assoupi dans sa crèche ; 
Ton pur sommeil était si calme et si charmant 
Que tu n’entendais pas l’oiseau chanter dans l’ombre ; 
Moi, pensif, j’aspirais toute la douceur sombre 
Du mystérieux firmament. 

Et j’écoutais voler sur ta tête les anges ; 
Et je te regardais dormir ; et sur tes langes 
J’effeuillais des jasmins et des oeillets sans bruit ; 
Et je priais, veillant sur tes paupières closes ; 
Et mes yeux se mouillaient de pleurs, songeant aux choses 
Qui nous attendent dans la nuit. 

Un jour mon tour viendra de dormir ; et ma couche, 
Faite d’ombre, sera si morne et si farouche 
Que je n’entendrai pas non plus chanter l’oiseau ; 
Et la nuit sera noire ; alors, ô ma colombe, 
Larmes, prière et fleurs, tu rendras à ma tombe 
Ce que j’ai fait pour ton berceau.

Victor Hugo.

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JEANNE AU PAIN SEC – Victor Hugo

Jeanne était au pain sec…

Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir,
Pour un crime quelconque, et, manquant au devoir,
J’allai voir la proscrite en pleine forfaiture,
Et lui glissai dans l’ombre un pot de confiture
Contraire aux lois. Tous ceux sur qui, dans ma cité,
Repose le salut de la société,
S’indignèrent, et Jeanne a dit d’une voix douce :
- Je ne toucherai plus mon nez avec mon pouce ;
Je ne me ferai plus griffer par le minet.
Mais on s’est récrié : – Cette enfant vous connaît ;
Elle sait à quel point vous êtes faible et lâche.
Elle vous voit toujours rire quand on se fâche.
Pas de gouvernement possible. À chaque instant
L’ordre est troublé par vous ; le pouvoir se détend ;
Plus de règle. L’enfant n’a plus rien qui l’arrête.
Vous démolissez tout. – Et j’ai baissé la tête,
Et j’ai dit : – Je n’ai rien à répondre à cela,
J’ai tort. Oui, c’est avec ces indulgences-là
Qu’on a toujours conduit les peuples à leur perte.
Qu’on me mette au pain sec. – Vous le méritez, certe,
On vous y mettra. – Jeanne alors, dans son coin noir,
M’a dit tout bas, levant ses yeux si beaux à voir,
Pleins de l’autorité des douces créatures :
- Eh bien, moi, je t’irai porter des confitures.

Jeanne était au pain sec…

 

LA GUERRE, TOUJOURS LA GUERRE !!!

LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ

 

Depuis six mille ans la guerre
Plaît aux peuples querelleurs,
Et Dieu perd son temps à faire
Les étoiles et les fleurs.

Les conseils du ciel immense,
Du lys pur, du nid doré
N’ôtent aucune démence
Du coeur de l’homme effaré

Les carnages, les victoires,
Voilà notre grand amour ;
Et les multitudes noires
Ont pour grelot le tambour.

La gloire, sous ses chimères
Et sous ses chars triomphants,
Met toutes les pauvres mères
Et tous les petits enfants.

Notre bonheur est farouche ;
C’est de dire: Allons! mourons!
Et c’est d’avoir à la bouche
La salive des clairons.

L’acier luit, les bivouacs fument ;
Pâles, nous nous déchaînons ;
Les sombres âmes s’allument
Aux lumières des canons.

Et cela pour des altesses
Qui, vous à peine enterrés,
Se feront des politesses
Pendant que vous pourrirez,

Et que, dans le champ funeste,
Les chacals et les oiseaux,
Hideux, iront voir s’il reste
De la chair après vos os!

Aucun peuple ne tolère,
Qu’un autre vive à côté
Et l’on souffle la colère
Dans notre imbécilité.

C’est un russe! Egorge, assomme.
Un croate! Feu roulant.
C’est juste. Pourquoi cet homme
Avait-il un habit blanc ?

Celui-ci, je le supprime
Et m’en vais, le coeur serein,
Puisqu’il a commis le crime
De naître à droite du Rhin.

Rosbach ! Waterloo ! Vengeance !
L’homme, ivre d’un affreux bruit,
N’a plus d’autre intelligence
Que le massacre et la nuit.

On pourrait boire aux fontaines,
Prier dans l’ombre à genoux,
Aimer, songer sous les chênes ;
Tuer son frère est plus doux.

On se hache, on se harponne,
On court par monts et par vaux ;
L’épouvante se cramponne
Du poing aux crins des chevaux.

Et l’aube est là sur la plaine !
Oh ! j’admire, en vérité,
Qu’on puisse avoir de la haine
Quand l’alouette a chanté.

LA GUERRE, TOUJOURS LA GUERRE !!! dans POESIE hugo

Victor Hugo

VERLAINE

À Clymène

 

Mystiques barcarolles,
Romances sans paroles,
Chère, puisque tes yeux,
Couleur des cieux,
Puisque ta voix, étrange
Vision qui dérange
Et trouble l’horizon
De ma raison,
Puisque l’arôme insigne
De ta pâleur de cygne,
Et puisque la candeur
De ton odeur,
Ah ! puisque tout ton être,
Musique qui pénètre,
Nimbes d’anges défunts,
Tons et parfums,
A, sur d’almes cadences
En ses correspondances
Induit mon cœur subtil,
Ainsi soit-il !

 

Paul Verlaine
Fêtes Galantes

 

Ariettes oubliées III

Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?
Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s’ennuie
Ô le chant de la pluie !
Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s’écœure.
Quoi ! nulle trahison ? …
Ce deuil est sans raison.
C’est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon cœur a tant de peine !

Paul Verlaine
Romances sans paroles

 

Ariettes oubliées VII

Ô triste, triste était mon âme
À cause, à cause d’une femme.
Je ne me suis pas consolé
Bien que mon cœur s’en soit allé,
Bien que mon cœur, bien que mon âme
Eussent fui loin de cette femme.
Je ne me suis pas consolé,
Bien que mon cœur s’en soit allé.
Et mon cœur, mon cœur trop sensible
Dit à mon âme : Est-il possible,
Est-il possible, – le fût-il, –
Ce fier exil, ce triste exil ?
Mon âme dit à mon cœur : Sais-je
Moi-même que nous veut ce piège
D’être présents bien qu’exilés,
Encore que loin en allés ?

Paul Verlaine
Romances sans paroles

 

Ariettes oubliées VIII

Dans l’interminable
Ennui de la plaine
La neige incertaine
Luit comme du sable.
Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune.
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.
Comme des nuées
Flottent gris les chênes
Des forêts prochaines
Parmi les buées.
Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune.
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.
Corneille poussive
Et vous, les loups maigres,
Par ces bises aigres
Quoi donc vous arrive ?
Dans l’interminable
Ennui de la plaine
La neige incertaine
Luit comme du sable.

Paul Verlaine
Romances sans paroles

 

Cauchemar

J’ai vu passer dans mon rêve
- Tel l’ouragan sur la grève, –
D’une main tenant un glaive
Et de l’autre un sablier,
Ce cavalier

Des ballades d’Allemagne
Qu’à travers ville et campagne,
Et du fleuve à la montagne,
Et des forêts au vallon,
Un étalon

Rouge-flamme et noir d’ébène,
Sans bride, ni mors, ni rêne
Ni hop ! ni cravache, entraîne
Parmi des râlements sourds
Toujours ! toujours !

Un grand feutre à longue plume
Ombrait son œil qui s’allume
Et s’éteint. Tel, dans la brume,
Éclate et meurt l’éclair bleu
D’une arme à feu.

Comme l’aile d’une orfraie
Qu’un subit orage effraie,
Par l’air que la neige raie,
Son manteau se soulevant
Claquait au vent,

Et montrait d’un air de gloire
Un torse d’ombre et d’ivoire,
Tandis que dans la nuit noire
Luisaient en des cris stridents
Trente-deux dents.

Paul Verlaine
Poèmes saturniens

 

Chanson d’automne

Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon cœur
D’une langueur
Monotone.

Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l’heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure ;

Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.

Paul Verlaine
Poèmes saturniens

 

VERLAINE dans POESIE mqdefault

Georges Brassens – Colombine

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Colombine

Léandre le sot,
Pierrot qui d’un saut
De puce
Franchit le buisson,
Cassandre sous son
Capuce,
Arlequin aussi,
Cet aigrefin si
Fantasque
Aux costumes fous,
Ses yeux luisants sous
Son masque,
- Do, mi, sol, mi, fa, –
Tout ce monde va,
Rit, chante
Et danse devant
Une belle enfant
Méchante
Dont les yeux pervers
Comme les yeux verts
Des chattes
Gardent ses appas
Et disent : « À bas
Les pattes ! »
- Eux ils vont toujours ! –
Fatidique cours
Des astres,
Oh ! dis-moi vers quels
Mornes ou cruels
Désastres
L’implacable enfant,
Preste et relevant
Ses jupes,
La rose au chapeau,
Conduit son troupeau
De dupes ?

Paul Verlaine
Fêtes Galantes

                    

 

La Bonne Chanson IV

Puisque l’aube grandit, puisque voici l’aurore,
Puisque, après m’avoir fui longtemps, l’espoir veut bien
Revoler devers moi qui l’appelle et l’implore,
Puisque tout ce bonheur veut bien être le mien,

C’en est fait à présent des funestes pensées,
C’en est fait des mauvais rêves, ah ! c’en est fait
Surtout de l’ironie et des lèvres pincées
Et des mots où l’esprit sans l’âme triomphait.

Arrière aussi les poings crispés et la colère
À propos des méchants et des sots rencontrés ;
Arrière la rancune abominable ! arrière
L’oubli qu’on cherche en des breuvages exécrés !

Car je veux, maintenant qu’un Être de lumière
A dans ma nuit profonde émis cette clarté
D’une amour à la fois immortelle et première,
De par la grâce, le sourire et la bonté,

Je veux, guidé par vous, beaux yeux aux flammes douces,
Par toi conduit, ô main où tremblera ma main,
Marcher droit, que ce soit par des sentiers de mousses
Ou que rocs et cailloux encombrent le chemin ;

Oui, je veux marcher droit et calme dans la Vie,
Vers le but où le sort dirigera mes pas,
Sans violence, sans remords et sans envie :
Ce sera le devoir heureux aux gais combats.

Et comme, pour bercer les lenteurs de la route,
Je chanterai des airs ingénus, je me dis
Qu’elle m’écoutera sans déplaisir sans doute ;
Et vraiment je ne veux pas d’autre Paradis.

Paul Verlaine
La Bonne Chanson

 

Marine

L’Océan sonore
Palpite sous l’œil
De la lune en deuil
Et palpite encore,

Tandis qu’un éclair
Brutal et sinistre
Fend le ciel de bistre
D’un long zigzag clair,

Et que chaque lame
En bonds convulsifs,
Le long des récifs
Va, vient, luit et clame,

Et qu’au firmament,
Où l’ouragan erre,
Rugit le tonnerre
Formidablement.

Paul Verlaine
Poèmes saturniens

 

Mon rêve familier

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon cœur, transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d’être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse ? – Je l’ignore.
Son nom ? Je me souviens qu’il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L’inflexion des voix chères qui se sont tues.

Paul Verlaine
Poèmes saturniens

 

Sérénade

Comme la voix d’un mort qui chanterait
Du fond de sa fosse,
Maîtresse, entends monter vers ton retrait
Ma voix aigre et fausse.

Ouvre ton âme et ton oreille au son
De ma mandoline :
Pour toi j’ai fait, pour toi, cette chanson
Cruelle et câline.

Je chanterai tes yeux d’or et d’onyx
Purs de toutes ombres,
Puis le Léthé de ton sein, puis le Styx
De tes cheveux sombres.

Comme la voix d’un mort qui chanterait
Du fond de sa fosse,
Maîtresse, entends monter vers ton retrait
Ma voix aigre et fausse.

Puis je louerai beaucoup, comme il convient,
Cette chair bénie
Dont le parfum opulent me revient
Les nuits d’insomnie.

Et pour finir, je dirai le baiser
De ta lèvre rouge,
Et ta douceur à me martyriser,
– Mon Ange ! – ma Gouge !

Ouvre ton âme et ton oreille au son
De ma mandoline :
Pour toi j’ai fait, pour toi, cette chanson
Cruelle et câline.

Paul Verlaine
Poèmes saturniens

 

Soleils couchants

Une aube affaiblie
Verse par les champs
La mélancolie
Des soleils couchants.
La mélancolie
Berce de doux chants
Mon cœur qui s’oublie
Aux soleils couchants.
Et d’étranges rêves,
Comme des soleils
Couchants sur les grèves,
Fantômes vermeils,
Défilent sans trêves,
Défilent, pareils
À des grands soleils
Couchants sur les grèves.

Paul Verlaine
Poèmes saturniens

ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent

.

Ceux qui vivent, ce sont ceux qui

luttent

Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ; ce sont
Ceux dont un dessein ferme emplit l’âme et le front.
Ceux qui d’un haut destin gravissent l’âpre cime.
Ceux qui marchent pensifs, épris d’un but sublime.
Ayant devant les yeux sans cesse, nuit et jour,
Ou quelque saint labeur ou quelque grand amour.
C’est le prophète saint prosterné devant l’arche,
C’est le travailleur, pâtre, ouvrier, patriarche.
Ceux dont le coeur est bon, ceux dont les jours sont pleins.
Ceux-là vivent, Seigneur ! les autres, je les plains.
Car de son vague ennui le néant les enivre,
Car le plus lourd fardeau, c’est d’exister sans vivre.
Inutiles, épars, ils traînent ici-bas
Le sombre accablement d’être en ne pensant pas.
Ils s’appellent vulgus, plebs, la tourbe, la foule.
Ils sont ce qui murmure, applaudit, siffle, coule,
Bat des mains, foule aux pieds, bâille, dit oui, dit non,
N’a jamais de figure et n’a jamais de nom ;
Troupeau qui va, revient, juge, absout, délibère,
Détruit, prêt à Marat comme prêt à Tibère,
Foule triste, joyeuse, habits dorés, bras nus,
Pêle-mêle, et poussée aux gouffres inconnus.
Ils sont les passants froids sans but, sans noeud, sans âge ;
Le bas du genre humain qui s’écroule en nuage ;
Ceux qu’on ne connaît pas, ceux qu’on ne compte pas,
Ceux qui perdent les mots, les volontés, les pas.
L’ombre obscure autour d’eux se prolonge et recule ;
Ils n’ont du plein midi qu’un lointain crépuscule,
Car, jetant au hasard les cris, les voix, le bruit,
Ils errent près du bord sinistre de la nuit.

Quoi ! ne point aimer ! suivre une morne carrière
Sans un songe en avant, sans un deuil en arrière,
Quoi ! marcher devant soi sans savoir où l’on va,
Rire de Jupiter sans croire à Jéhova,
Regarder sans respect l’astre, la fleur, la femme,
Toujours vouloir le corps, ne jamais chercher l’âme,
Pour de vains résultats faire de vains efforts,
N’attendre rien d’en haut ! ciel ! oublier les morts !
Oh non, je ne suis point de ceux-là ! grands, prospères,
Fiers, puissants, ou cachés dans d’immondes repaires,
Je les fuis, et je crains leurs sentiers détestés ;
Et j’aimerais mieux être, ô fourmis des cités,
Tourbe, foule, hommes faux, coeurs morts, races déchues,
Un arbre dans les bois qu’une âme en vos cohues !

 

Victor HUGO   (1802-1885).

MARCELINE DESBORDES-VALMORE

Marceline Desbordes-Valmore

Fin de vie

Marceline Desbordes-Valmore décède à Paris, dans sa dernière demeure au 59, rue de Rivoli, le 23 juillet 1859, en ayant survécu au décès de presque tous ses enfants, de son frère et de maintes amies. Elle fut surnommée « Notre-Dame-Des-Pleurs » en référence aux nombreux drames qui jalonnèrent sa vie3. Elle est inhumée au cimetière de Montmartre (26ème division).

À l’amour

Poète : Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)

Recueil : Élégies (1830).

Reprends de ce bouquet les trompeuses couleurs,
Ces lettres qui font mon supplice,
Ce portrait qui fut ton complice ;
Il te ressemble, il rit, tout baigné de mes pleurs.

Je te rends ce trésor funeste,
Ce froid témoin de mon affreux ennui.
Ton souvenir brûlant, que je déteste,
Sera bientôt froid comme lui.

Oh ! Reprends tout. Si ma main tremble encore,
C’est que j’ai cru te voir sous ces traits que j’abhorre.
Oui, j’ai cru rencontrer le regard d’un trompeur ;
Ce fantôme a troublé mon courage timide.

Ciel ! On peut donc mourir à l’aspect d’un perfide,
Si son ombre fait tant de peur !
Comme ces feux errants dont le reflet égare,
La flamme de ses yeux a passé devant moi ;

Je rougis d’oublier qu’enfin tout nous sépare ;
Mais je n’en rougis que pour toi.
Que mes froids sentiments s’expriment avec peine !
Amour… que je te hais de m’apprendre la haine !

Eloigne-toi, reprends ces trompeuses couleurs,
Ces lettres, qui font mon supplice,
Ce portrait, qui fut ton complice ;
Il te ressemble, il rit, tout baigné de mes pleurs !

Cache au moins ma colère au cruel qui t’envoie,
Dis que j’ai tout brisé, sans larmes, sans efforts ;
En lui peignant mes douloureux transports,
Tu lui donnerais trop de joie.

Reprends aussi, reprends les écrits dangereux,
Où, cachant sous des fleurs son premier artifice,
Il voulut essayer sa cruauté novice
Sur un coeur simple et malheureux.

Quand tu voudras encore égarer l’innocence,
Quand tu voudras voir brûler et languir,
Quand tu voudras faire aimer et mourir,
N’emprunte pas d’autre éloquence.

L’art de séduire est là, comme il est dans son coeur !
Va ! Tu n’as plus besoin d’étude.
Sois léger par penchant, ingrat par habitude,
Donne la fièvre, amour, et garde ta froideur.

Ne change rien aux aveux pleins de charmes
Dont la magie entraîne au désespoir :
Tu peux de chaque mot calculer le pouvoir,
Et choisir ceux encore imprégnés de mes larmes…

Il n’ose me répondre, il s’envole… il est loin.
Puisse-t-il d’un ingrat éterniser l’absence !
Il faudrait par fierté sourire en sa présence :
J’aime mieux souffrir sans témoin.

Il ne reviendra plus, il sait que je l’abhorre ;
Je l’ai dit à l’amour, qui déjà s’est enfui.
S’il osait revenir, je le dirais encore :
Mais on approche, on parle… hélas ! Ce n’est pas lui !

Marceline Desbordes-Valmore.

Marceline Desbordes-Valmore par Nadar (1854).

Données clés
Alias
Notre-Dame-Des-Pleurs
Naissance 20 juin 1786
Douai, France
Décès 23 juillet 1859 (à 73 ans)
Paris, France
Activité principale
Poétesse
Auteur
Langue d’écriture Français
Genres
Littéraire, poétesse

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